Je crois que les gens se font de complètes illusions sur la manière dont un travailleur handicapé est embauché, sur le niveau des droits qu'on propose à un travailleur handicapé, sur les situations de discrimination qu'on vit...quelque soit son niveau de diplôme, et (ça c'est mon point de vue) encore plus quand votre boulot ne consiste pas à rester derrière un ordinateur à heures fixes et sans initiatives. Qu’on ne vienne pas me dire qu’ils recherchent des handicapés diplômés, je connais plusieurs handicapés diplômés qui cherchent du boulot…
Il est temps (car l'eau a un peu coulé sous les ponts) de narrer en partie ma dernière recherche de poste. Elle fut sur certains aspects assez semblable à la précédente: entretiens sans évoquer mon handicap d'abord pour ne pas polluer les échanges, repérage des lieux pas adaptés du tout (chouette c'est récent mais mince il y a trois marches avant l'ascenseur, etc...).
Un point à noter tout de même: dans deux maisons où on me présentait les embauches "gelées", l'évocation de ma reconnaissance RQTH a semble-t-il entrouvert des portes qui semblaient fermées. La distinction était légère mais disons que les RH acceptaient alors de se poser la question d'un recrutement 2 fois plutôt qu'une. Cela fait plaisir vu tout ce qu'on prend ailleurs en tant que travailleur handicapé...
Mais quand même, il y a une chose à vraiment raconter... Il s'agit d'une grande administration de la fonction publique, où j'ai commencé par un entretien avec les ressources humaines. A cet endroit justement mon handicap semblait leur permettre, quantitativement, d'embaucher alors qu'ils n'auraient peut être pas pu (bon en fait j'ai vu d'autres embauches équivalentes et sans handicap depuis, mais c'est ce qu'ils m'ont dit en tout cas). Après que mon CV circule, un département ad hoc me propose un poste ad hoc sur mon domaine de compétences et dans des conditions qui me vont. On aborde, comme d'habitude, mon handicap en deuxième partie et comme ils me disent qu'il y a une cellule handicap, et que j’ai croisée deux personnes en fauteuil roulant dans le hall, je lui dis que c'est à voir rapidement (et prioritairement) avec eux. Nous sommes fin septembre-tout début octobre quand ce qui concerne strictement la nature du poste est réglé et nous sommes d’accord.
Je ne vais pas faire un roman, mais en gros la cellule handicap a refusé de me rencontrer pendant plusieurs mois car elle a "sous traité" ses recrutements RQTH à une association, l'Atharep. Problème, dans cette administration on recrute des personnes handicapées par une voie spéciale sous traitée à l’Atharep, et d'habitude on n'a pas un postulant "normal" sur un poste "normal" par une voie "normale" qui se déclare handicapé. Je ne rentre pas dans les cases, tant pis pour moi...En plus je suis « hyper diplômée » et là c’est la panique. Sans rire, je cite ce que j’ai reçu ensuite, il faut accepter de se faire dire n’importe quoi des fois : « Tu as apparemment eu à t'adresser à des agents que tu impressionnes de par ton statut. Avance "avec le sourire", (…) essaye de faire confiance, ils cherchent bien à t'aider, ils s'organisent à leur manière ». J’adore le « ils s’organisent à leur manière », c'est-à-dire sans aucune connaissance du handicap, sans me rencontrer, sans faire appel à aucun professionnel…
Je décroche un rendez-vous au moins un mois plus tard à l'Atharep, où une jeune fille très gentille, mais pas plus ergothérapeute que mon voisin de palier, me reçoit. Bien que j'aie déjà envoyé un document très complet à ma cellule handicap et mon futur service, je lui raconte ma vie et mes besoins d'adaptation. De mon côté j’ai besoin de savoir ce que l’entreprise m’offre comme possibilités d’adaptation de base afin de faire mon choix entre plusieurs entreprises, je réinsiste pour rencontrer la cellule handicap et demande à ce qu’une visite d’ergonome soit envisagée. Elle prend en note mes besoins d’adaptation et renvoie donc à ma cellule handicap et à mon service un document qu'elle refuse de me montrer. Ce sera bien plus tard que mon chef de service m'appellera pour me dire que le CR de l'Atharep est une sorte de résumé mal fait de mes notes à moi et ne comprend pas ce que cela a apporté à part de perdre 2 mois: moi non plus, mais la cellule handicap est contente que je sois rentrée dans les cases, et ils ne voient toujours pas de raison de me rencontrer malgré mon insistance. Une cellule handicap qui refuse de me rencontrer, c'est NOUVEAU pour moi... o_O
On arrive fin novembre au moment où je dois choisir mon poste parmi plusieurs, et mon employeur préféré ne me donne toujours pas de réponse. Je n’ai toujours pas pu rencontrer la cellule handicap et les choses se passent complètement sans moi, j’apprends qu’il y a des réunions d’où il ressort des besoins que je n’ai pas exprimés. Parmi ce qui bloque, ce qui bloque toujours et ce qui bloque pour beaucoup de jeunes autres diplômés handicapés, c’est la partie d’aide humaine dont j’ai besoin, car les aides techniques ne suffisent pas à assurer un poste de cadre supérieur « pro-actif », et qui doit être formalisée : soit dans le poste d’un collègue, soit via des prestataires, soit via des étudiants, mais tous les employeurs de ma connaissance sont paumés sur ce point…. Aussi je reçois : « L'ILC de la XX a émis un avis favorable assorti de réserves à votre candidature sur le poste de chef de programme à la XX/Sous-direction du développement durable. Ces réserves concernent entre autres le recrutement à mi-temps d'une tierce personne, la disponibilité d'un bureau personnel pour vous et aussi pour cette personne, .... » bref mon handicap. « Je ne manquerai pas de vous tenir informée dès que j'aurai connaissance des réponses aux nombreuses questions soulevées par votre éventuelle arrivée à la XX ». Ils avaient bien prévu d’embaucher des personnes handicapées, mais quand même pas handicapées à ce point, là ça les embête quand même…en plus comme mon handicap est souvent invisible, ils ne s’attendaient pas à un tel niveau d’invalidité (clavier impossible, métro impossible…), c’est pas juste pour eux quoi…. Je réinsiste pour a minima soit les rencontrer, soit rencontrer un ergonome (un vrai) qui lui pourrait discuter avec eux, par exemple ils sont en train de me chercher un bureau sans même savoir de quel bureau j’ai besoin, et de me dire que c’est un facteur déterminant de mon embauche, unbelievable. Et pendant ce temps je reçois de mon Corps : « Je sais que jeunesse va de pair avec impatience. Mais vouloir s'assurer que toutes les conditions requises pour un bon accueil seront satisfaites prend du temps, surtout quand ces dites conditions peuvent être fluctuantes. » ?????? Le handicap a bon dos… !! Et bien sûr, tout cela a lieu pendant la 13ème « semaine pour l’emploi des personnes handicapées », SI SI, mon cerveau doit donc faire le grand écart douloureux entre ce qu’il lit de bonnes intentions dans les médias et ce qu’il se fait répondre sur un poste, concrètement….
Un peu énervé comme moi que rien n’ait avancé en deux mois où nous faisions confiance à la cellule handicap, mon chef de service reprend les choses en main, échange avec moi puis avec son entreprise, etc. Bref, il se substitue à ce qui devrait être le minimum minimorum du travail de la cellule handicap. On trouve même une personne qui n’est pas occupée à temps plein et qui pourra remplir le rôle d’auxiliaire de travail dont j’ai besoin. On m’annonce que ma candidature est acceptée le 2 décembre et à ce titre le chef de service organise une réunion commune pour « acter » tous ensemble les derniers détails. MIRACLE, nous sommes le 14 décembre et je rencontre enfin la mission handicap, alors que mon premier entretien date de septembre et que je dois prendre mes fonctions le 1er février. Lors de cette réunion génialissime, où je demande à nouveau le diagnostic d’un ergonome de la FIPHFP pour m’aider à anticiper mes besoins dans ce nouvel environnement (et servir de référence car pour l’instant il n’y a que moi qui prêche pour mon beefsteak), et où plusieurs non professionnels du handicap me rééexliquent à quel point ce n’est pas nécessaire !!!, la cellule handicap me demande de démissionner si possible un mois plus tôt de mon précédent poste pour qu’ils puissent me compter dans leurs effectifs de travailleurs handicapés (le comptage est fait au 1er janvier pour l’année). La cellule handicap m’explique aussi que ce n’est pas facile pour elle d’adapter mon poste car, si c’est bien elle qui dépense l’argent, ce n’est pas elle qui reçoit les remboursements du FIPHFP. GENIAL je vous ai dit, la cellule handicap par la construction même de son budget a une énorme incitation à ne pas adapter de postes… Comme les adaptations ne seront prêtes qu’à partir du 1er février, on me dit entre les lignes qu’on préfère me payer à ne rien faire chez moi pendant un mois que ne pas pouvoir me compter dans les effectifs RQTH. Soit…. La personne pressentie pour m’aider dit à tous qu’elle est hyper motivée pour aider « la petite » (…..je vous jure…) et que d’ailleurs elle ne prend ce poste que pour cette partie, l’autre partie ne l’intéresse pas du tout.
Je démissionne donc un mois plus tôt que prévu en négociant avec mon ancien employeur.
Et là, MAGIQUE ! Nous sommes le 18 décembre quand mon n+3 (qu’on est donc tous censés craindre, respecter etc) m’appelle pour me dire que « mes demandes d'adaptation du poste avaient changé » (bien sûr elles n'ont pas changé, le document, qui date d'octobre, n'a pas évolué d'un yota) et que « la personne qui m'aiderait ne pourrait m'aider que si 3h par jours sont callées à l'avance où elle m'aidera et qu'elle ne pourra faire des aller retour avec l'autre partie de son poste pour m'aider de manière "imprévue" » (apparemment dans toutes les réunions où ni moi ni aucun ergonome ne participait auparavant ils ont dû trouver que 3h par jour c’était plus commode et faire un compte rendu en ce sens quelque part ??). En conclusion, « il ne m'embauche que si je lui confirme que ces conditions sont compatibles avec mon handicap parce qu'il n'est pas médecin. » Bien sûr que ce n'est pas compatible puisque mon handicap ne me demande pas mon agenda avant de m’handicaper… (je réponds : « il ne m'est pas possible de n'avoir mon handicap que 3 demi-journées par semaine, où à l'inverse l'auxiliaire ne serait pas mobilisé toute la demi-journée ». Comme les services RH de l’entreprise m’ont déjà confirmé la prise de poste et qu’accessoirement ils m’ont fait démissionner un mois plus tôt !!, il répond que « si j'ai dit non aux autres postes c'est mon problème, que la parole de MM P et L ne compte pas et que c'est seulement lui qui peut décider s'il m'embauche ou pas et que ce n'est pas encore fait, qu'il cherchera quelqu'un d'autre pour ce poste. ». Nous sommes le 18 décembre, je n’ai plus de travail pour le 1er janvier, tout ceci uniquement sur des points qui ont trait à mon handicap ! J’alerte mon gestionnaire de Corps et là je reçois, je vous jure, ce n’est pas une blague : « il faut que tu portes également plus d'attention à ton entourage professionnel, qui est partant de très bonne volonté, mais que tu dois apprendre à ne pas "effrayer". ». En même temps mon gestionnaire me dit de ne plus m’en occuper, que je n’ai pas à me faire impressionner par un n+3 qui ne veut pas partager sa deuxième assistante avec quelqu’un d’autre, et qu’il s’en occupe en direct. Mes autres interlocuteurs sont en vacances, et mon chef de service me dit que puisqu’il s’agit de son chef il ne peut plus rien faire. Une ancienne professeure qui suit mon parcours professionnel depuis plusieurs années me dit qu’elle va alerter le directeur général de l’entreprise.
DU 18 DECEMBRE AU 5 JANVIER JE N AI PLUS AUCUNE NOUVELLE DE PERSONNE, j’ai donc à la fois officiellement un poste (version optimiste) et pas de poste (version pessimiste), TOUT CECI UNIQUEMENT A CAUSE DE MON HANDICAP (ce n’est pas une période judicieuse pour me parler droits des personnes, justice, quotas, discrimination…). J’ai donc passé de très bonnes fêtes de fin d’année, pas angoissantes du tout. Mes amis en ont ras-le-bol de « mes histoires » donc je reste dans mon coin, j’essaye de en pas y penser c’est tout… Le 5 janvier j’ose demander des nouvelles, et là j’apprends qu’une réunion sur moi a eu lieu et que je suis affectée depuis le 1er janvier (« ah on a oublié de vous le dire ? » sic !). Je comprends aussi que le Directeur Général a dû intervenir (thank god he did it…), et que finalement il y aura carrément le recrutement d’une personne en CDD. Bon par contre rien n’est prêt, donc je reste chez moi bien au chaud et j’attends qu’on m’appelle (heureusement j’ai largement de quoi m’occuper côté politique).
Je raccourcis un peu, on trouve une jeune fille pour le CDD début février, là du coup on me dit que personne ne s’est occupé de mes claviers/logiciels etc (ils sont sous cartons depuis un mois chez mon ancien employeur…). J’arrive donc le 15 février dans un bureau vide, mais c’est pas grave, je suis là !!
J’ajoute quand même deux épilogues : suggérée dans une interligne de ma note sur les adaptations de poste, la cellule handicap fait une réunion de sensibilisation de mon service avec intervention d’un tiers (une personne de CAP Emploi je crois). Je tire un bilan très positif de cette intervention extérieure, à mon avis indispensable : il fait l’introduction générale sur le handicap au travail, je n’ai plus qu’à rajouter des spécificités liées à mon handicap (tu peux me serrer la main, c’est mieux si tu t’assois dans mon bureau, au début du couloir je marche bien et après moins bien, etc), mais au moins ça ne donne pas l’impression que « je fais des manières » comme c’est le cas quand il n’y a pas de tiers. Le message passe comme sur des roulettes. Avancée IMMENSE, la cellule handicap et le médecin du travail sont venus voir comment cette réunion se passait : ça leur a permis de poser plein de questions (sic !) et de découvrir plein de choses. Je suis ravie que mon arrivée leur ait permis de s’offrir leur première formation sur ce thème… J
Le deuxième épilogue c’est à quel point la cellule handicap m’a laissée tomber à mon arrivée. Je pouvais compter sur moi-même (et un peu le chef de service) et mon auxiliaire (là pour ça…) pour harceler les services informatiques, logistiques, transports, etc. Aujourd’hui encore, 8 mois après mon arrivée physique, j’en suis à demander des poignées sur mes tiroirs… Bon, je suis un peu mauvaise langue, ils ont fait très attention à un point : l’évacuation incendie. Alors là, il y a un truc en forme de luge, ils ont formé des gens, ils sont venus moulte fois m’en parler : pour ce qui est de l’évacuation incendie, ils se sont bien bougés. L’adaptation de mon poste, pour que je puisse rentrer chez moi sans avoir trop de douleurs pour le lendemain, ne les concerne pas…
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