Verbatim après intervention au Congrès XX- février 2011
0. Intro
P- je suis responsable d’enseignement sur l'accessibilité en formation initiale de XX à Paris, mais on m'a sollicitée pour une autre casquette, celle de personne directement concernée. J'ai en effet moi-même un handicap moteur et j'ai co-fondé le réseau HEVAH qui veut dire Hautes Etudes et Vie Active avec un Handicap : vous lisez souvent dans les journaux que nos membres (nous sommes plus d'une centaine à ce jour) n’existent pas, diplômés et en situation de handicap. Or nous ne sommes ni aux minimas sociaux ni en entreprises adaptées, comme vous nous sommes cadres supérieurs et comme vous nous ne connaissons pas notre emploi du temps au quart d’heure près 24 ou 48h à l’avance, aussi les solutions de déplacements sans flexibilité ou des modes à vitesse de déplacement réduite (comme les bus qui doivent remplacer le métro dans Paris) ne peuvent pas nous satisfaire puisqu’elles ne nous permettent pas de répondre à nos contraintes professionnelles qui sont les mêmes que les vôtres.
P- Lorsque j'enseigne l’accessibilité je m'appuie sur des études, ici à l’inverse je m’appuierai uniquement sur le vécu, du point de vue de l’usager. Et effectivement, pour parler d’accessibilité il faut accepter de se mettre en situation d’apprendre et être humble : on ne sait pas à l’avance quelle est la bonne solution, y compris lorsque l’on a soi même un handicap, et il est impossible de plaquer sur une personne handicapée une solution qu’on a imaginée, ce doit être l’inverse bien sûr.
P- ce sont quelques unes des villes où j’ai voyagé, je ne prends pas forcément le temps d’analyser la politique sociale du handicap dans ces pays, ni l'historique qui fait que l'accessibilité est à tel ou tel niveau. On va donc parler strictement d’accessibilité vécue. Mais visiter en touriste est finalement un bon test puisque c’est assimilé à un multi-handicap (compréhension de la langue, etc.).
Je vais commencer mon petit palmarès en m'appliquant en réalité à vous parler peu des mauvais élèves et plus longuement des transports à Tokyo comme cela m'a été demandé.
1. Mauvais élèves (photos 1 à 4)
P- Lisbonne: en fauteuil roulant l’enfer est pavé tout court, c’est le cas de lisbonne, aucun espoir d’y échapper. Je crois deviner que ceux qui habitent à Bruxelles savent de quoi je parle…
P- voici ce qu'il vous faudra affronter à Moscou pour traverser une rue ou monter dans un bus, débrouillez-vous
2 – (photo 5) je ne vais pas situer Paris dans ce palmarès puisque j'y vis et que ce serait biaisé, mais en guise d'illustration sur l’état d’esprit, vous trouverez sur cette photo
P- à gauche à l'intérieur de l'Assemblée Nationale une porte qui vient juste d'être refaite à neuf (il y avait largement la place de faire une rampe), et
P- à droite au Sénat une salle qui m'a été présentée par un accompagnateur du Sénat comme étant accessible, à un escalier près donc.
Je voudrais ajouter qu’à Paris l’intermodalité sert encore d’excuse pour ne pas tenter d’adapter le métro.
3 – (photos 6 à 8) Je n'ai pas expérimenté les transports de Pékin mais je vous ai ramené quelques images marquantes de leur accessibilité:
P- une bande podotactyle devant la cité interdite (il y en a partout),
P- et des sortes de rampes striées qu'ils affectionnent tout particulièrement, sans doute héritées de la culture du vélo, et qui rendent beaucoup d’immeubles accessibles, ce qui donne notamment le point indiqué comme accessible de la muraille de chine
4 – (photos 9 à 13) passons aux bons élèves maintenant, avec on en a déjà parlé les états unis
P- Cette première image, prise à Washington et inimaginable à Paris, d'un métro accessible. (Certes un métro avec de la moquette mais) Pour les personnes handicapées cela donne de l'espoir de savoir que ce monde existe et pour nos bâtisseurs cela inspire un peu de modestie.
P- à New york l'accessibilité aux bus nous a paru également parfaite, le chauffeur prend le temps qu'il faut (et le nombre de manoeuvres qu'il faut) pour vous faire monter et personne n'a l'idée de vous jeter un regard mauvais pendant ce temps, on sent la différence de culture.
Nous avons été marqués par le fait que les personnels d’accueil sont formés pour vous accueillir : là encore cela tranche avec une sorte de bonne volonté non-informée qui se révèle contre-productive : là bas on semble avoir mieux compris que le handicap n’est pas un sentiment mais une compétence qui s’acquiert autant qu’une autre, et qui ne s’improvise pas plus.
P- sur le campus de Berkeley, en à peine 5 minutes sur place j'y ai croisé une personne avec une canne blanche et une personne en fauteuil roulant électrique, l'accessibilité est indiquée partout en grosses lettres y compris sur les bâtiments qui imitent le style historique
P- sur la grande zone industrielle de Google, depuis la rue, des panneaux vous indiquent où aller si vous êtes en situation de handicap
P- Las vegas est la ville (ou plutôt la rue) où nous avons vu le plus de personnes en fauteuil roulant en 24h. Comme vous le voyez tout n'est pas parfait : ici le ressaut de 0 n'est pas compensé par une bande podotactyle pour signaler le danger aux personnes en situation de handicap visuel. En revanche, sur la grande artère, qu'on ne peut traverser qu'en montant sur des ponts piétons très fréquents, eh bien il y a des ascenseurs à chacun de ces ponts. Ca fait du bien au moral de savoir que ça existe.
5- je vais maintenant prendre un peu de temps pour vous parler des transports de la ville de Tokyo, qui pour moi est sans aucun doute en haut du palmarès. Mais il faut le voir pour le croire…
A) (photo 14) En commençant par cette photo : c'est l'image qu'il reste de tokyo après 10 jours passés à arpenter les couloirs de son métro: un accompagnateur qui vous précède et vous confirme le chemin accessible, la rampe à la main, et en slalomant parmi les bandes podotactyles.
B) (photos 15 à 17) Ces bandes podotactyles
P- sont une des premières choses qu'on remarque en arrivant à l'aéroport,
P- mais elles sont présentes y compris dans les carrefours entre petites rues.
P- Cette image est prise sur la dalle du musée Edo-Tokyo, musée ultra accessible et qui n'oublie pas de mettre des bandes podotactyles sur les grands espaces qui sont en effet très difficiles pour se repérer pour des personnes malvoyantes (cf l’entrée introuvable du bâtiment où nous sommes maintenant)
C) (photos 18 à 22) je vais vous faire rêver avec des photos prises dans des gares:
P- guichets, téléphones, fontaines d'eau sont à bonne (ou double) hauteur et accessibles.
P- Sur le quai on invite les personnes en fauteuil roulant à se mettre en sécurité en expliquant avec des photos de positions. Je n’ai vu cela nulle part ailleurs.
P- (photo 22) et dans le train qui relie l'aéroport au centre ville, vous ne rêvez pas, c'est bien un toilette entièrement accessible, avec lavabo adapté dans le coin, etc
D) (photo 23 à 26) il est instructif de noter que les tokyoïtes font un usage décomplexé, et ils ont bien raison, de la rampe, qui est parfois vue chez nous comme un élément architectural pas assez noble.
P- non seulement elles sont utilisées pour combler des ressauts sur la voirie
P- mais on trouve dans de nombreux établissements publics des rampes gigantesques dont voici un exemple
P- ils n'oublient pas de mettre les plateformes de repos, y compris lorsque c'est seulement la rue elle-même qui est naturellement en pente
P- tout comme les rampes record, ils ont aussi des élévateurs pliables record, celui-ci vous descend directement de deux étages depuis la rue.
E) (VIDEO 27) je vais continuer de vous faire rêver avec cette vidéo, un élément clé de l'accessibilité de Tokyo, a priori pourtant moins high tech qu'un écran d'ordinateur, l'escalator accessible (description).
Grâce à l'accompagnement humain permanent, très fiable, abondant et parfaitement formé ou au moins entraîné, vous n'avez pas à gérer le dérangement des autres voyageurs, vous êtes en sécurité, et vous n'êtes pas perdus dans toute la chaîne de parcours accessible puisqu’on vous accompagne du point A au point B tant que vous êtes dans les bâtiments du métro ou du train (nous aurions dû faire un plan séquence de descente avion/porte de l’hôtel tant personne ne nous croirait en France de l’enchaînement parfait et sans faute).
Cet accompagnement n’est pas spécifique au handicap, là bas il y a du personnel pour aider à sortir de certains parkings, signaler des travaux, tenir des portes, mais il se surajoute à l’autonomie technique qui est déjà offerte. Il est parfaitement formé et respectueux des choix de la personne handicapée (par exemple offrir le choix entre faire un détour ou vous faire porter sur quelques marches par plusieurs agents, etc.). Vous ne pouvez pas ne pas être vus et repérés par les agents quand vous prenez le métro.
En conséquence il n’est bien sûr pas besoin de connaître son déplacement 24 ou 48h à l’avance, d’autant que même sans accompagnement vous êtes autonome.
Cela tranche par exemple avec notre arrivée hier à Bruxelles : à la première gare les agents ne connaissaient pas les emplacements des ascenseurs, qui ne sont pas indiqués, et ne nous accompagnaient pas, nous laissant nous perdre plusieurs fois (alors que nous parlions leur langue), et à notre arrivée à la deuxième gare, l’ascenseur était en panne (nous avions vérifié son fonctionnement au téléphone la veille) et nous nous sommes faits gronder par l’agent du quai pour être là alors que ça ne l’arrangeait pas….
F) (VIDEO 28) l'accès quai-métro est là aussi exemplaire: (description) une indication sur le quai vous montre où vous positionner, un accompagnateur ajoute la rampe (bien que l'écart soit déjà très faible), vous vous retrouvez directement dans un wagon adapté, et l'accompagnateur averti le conducteur de train. La gare d’arrivée est avertie et contrairement à Paris ils ne vous oublient pas (ou alors c’est vous qui vous êtes trompé de gare, sic). L’accompagnateur fait même souvent une annonce pour expliquer aux voyageurs qu'une personne handicapée est embarquée ou débarquée du train. Un agent nous a dit qu’il gérait environ une vingtaine de personnes en fauteuil roulant par jour.
G) (photos 29 à 32)
P- si l'on passe les cas idylliques où les ascenseurs sont carrément réservés aux PMR avec un accompagnement humain dédié,
P- il y a également un effort particulier qui est fait au niveau des commandes de l'ascenseur: doubles (à hauteur) même dans un petit immeuble d’habitation, voire triples (sur les côtés) en ERP,
P- et des traductions braille intégrales doublées d'indications vocales nombreuses et redondantes
H) (photos 33 à 35) difficile en effet de ne pas trouver SON chemin accessible tant ils font en sorte de vous donner les informations dont vous avez besoin pour bien préparer vos cheminements.
P- avant d’arriver à la gare, dans le train, de nombreux écrans indiquent la localisation des escalators et ascenseurs par rapport aux wagons
P- en cas de travaux, et donc de cheminements temporairement modifiés, dans le métro un plan dessine le nouveau cheminement spécifique aux PMR en bleu, c’est impossible de vous perdre
P- bref, s'ils font un usage décomplexé de la rampe, ils font aussi un usage décomplexé de l'information. Ils ont des leçons de clarté signalétique à donner à beaucoup d’entre nous, peut-être du fait de la complexité de leur propre écriture.
I) (photos 36 à 38) ainsi dans le bus
P- les informations sont abondantes (écran, voix enregistrée, micro du chauffeur) et redondantes.
P- L'accessibilité, ici à un mini-bus, se fait via une palette manuelle longue (sur certains plus grands bus ce peut être une palette automatique en porte arrière). Comme à New york le chauffeur quitte son poste pour s'occuper de vous, fait bouger les voyageurs, plie manuellement des sièges, et vous êtes parfois accroché.
A Paris si le bus est bondé tout le monde trouve ça normal de vous laisser sur le trottoir pour que vous en attendiez un autre avec moins de monde. Dans ces pays la logique est inverse et on sent qu’ils auraient trop honte de vous laisser sur le trottoir.
Alors quels défauts d’accessibilité trouver à Tokyo?
J) (photos 39 et 40) certains se demandent parfois s'il n'y a pas d'excès de zèle:
P- comme par exemple sur ce trottoir saturé de bandes podotactyles
P- ou cette transcription braille intégrale de la tarification du métro
Personnellement je ne partagerai pas ce discours car c'est un peu la réaction d'un élève qui a 10/20 de moyenne et qui critique celui qui a eu 23/20....
K) (photos 41 à 44) non les défauts sont plus faciles à trouver dans le bâtiment (car personne n'est parfait).
P- immeuble inaccessible, bureau de poste accessible au handicap visuel mais pas moteur
P- une rampe en réalité pour vélo et non fauteuil roulant (et je pense qu'en chine c'est la tradition du déplacement en vélo qui a fait pousser les nombreuses rampes striées, pourvu qu'ils ne les enlève pas au fur et à mesure de l'avènement de la voiture)
P- obstacle léger sur la bande podotactyle: le seul défaut que j'ai trouvé un jour dans leur métro car leurs appareils là bas apparemment ne tombent pas en panne contrairement à nos élévateurs par exemple, ou les ascenseurs des gares RER au hasard..., ou ceux de la gare centrale de Bruxelles apparemment ?
Mais je voudrais vous soumettre la réflexion suivante: quand il y a une accessibilité faible, chaque pourcentage gagné d’accessibilité compte car sinon, comme pour les économies d’énergies, on tue le gisement d’accessibilité pour les 40 ans de vie du bâtiment ou de l’infrastructure. La chaîne de déplacement est alors tellement fine qu’elle est extrêmement fragile à toute perturbation, ce que l’on enseigne effectivement. Mais une fois que les transports sont à 100% accessibles, et que disons 70% des bâtiments le sont, la logique se renverse, et vous êtes beaucoup moins lésés si un magasin est inaccessible puisque vous n'avez aucune difficulté à voyager de manière accessible pour aller dans plusieurs autres qui seront pour la majorité accessibles.
L) (photo 45) je terminerai sur cette image: quand à Paris on en est à ne pas faire de rampe pour deux marches neuves dans une immense cour de l'Assemblée Nationale, à l'inverse ça ne leur a pas posé de problème de rendre accessible leur patrimoine historique.
Ici vous pouvez voir qu'ils ont construit à côté d’un temple historique (arrière plan) une petite maison dans le même style architectural que le temple, et dans laquelle il n’y a qu'un ascenseur, puis des petits ponts, toujours dans le même style, qui relient les différents niveaux du bâtiment historique.
Je vous rappelle qu'il n'y a pas de chemin accessible pour se rendre à l'Arc de triomphe au rond point des champs Elysées.
Merci.
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