Voici le verbatim (et quelques réactions du public reportées) d'une intervention devant une promotion de jeunes ingénieurs.
Le style est oral bien sûr et je la mets à votre disposition uniquement parce que, si vous la lisez, j'ai toujours espoir de vous convaincre un peu comme j'espère en avoir convaincu quelques uns dans la salle ce jour-là.
Malheureusement c'est la seule que j'ai pu faire, le directeur de l'Ecole n'ayant pour l'instant pas souhaité réinvestir ce thème.
A l'issue de cet amphi il s'était par ailleurs engagé devant toute la promotion (500 élèves) à installer une rampe pour accéder à l'amphi d'honneur inaccessible, cela n'a pas été fait.
Conférence Handicap E
26 avril 2007
Présentation
-- premier lien avec le handicap : envie d'apprendre la langue des signes françaises (LSF) depuis toujours, ce que j’ai fait en seconde, fondé le B en 2003 (une trentaine d'élèves suivaient deux heures de cours par semaine, des soirées festives hebdomadaires avec des jeunes sourds de notre âge, également ouverture sur le monde assez méconnu de la surdité)
-- deuxième lien avec le handicap, non corrélé : j'ai travaillé sur ce thème durant mes études ce qui m'a permis de rencontrer pas mal d'acteurs et d'entendre un certain nombre d'idées
-- troisième lien avec le handicap, toujours non corrélé, c'est d'être moi-même tombée malade, ce qui me fait aujourd'hui être devant vous également dans la position de personne handicapée motrice (cela me permet de prouver par la même occasion et sans vous raconter ma vie, que le handicap, même moteur, n'est pas forcément visible)
C'est donc mon CV version handicap, dans lequel vous remarquerez que je ne suis dans aucune association et que je ne suis donc pas venue pour apporter des revendications toutes faites de telle ou telle communauté.
Expérience personnelle du handicap dans l'entreprise
On m'a demandé de parler de mon expérience personnelle du handicap dans l'entreprise, dans le monde professionnel. Et bien personnellement, c'est la même que l'expérience du handicap partout ailleurs, [comme par exemple ici et maintenant]. Je vais parler de trois points qui m’ont semblé ressortir :
-- premier point : plutôt plus que moins de bonne volonté : je suis faite refouler en entretien de stages sur ce motif bien sûr, ou bien plus subtil, dans une grande entreprise du groupe Tremplin, censé donc montrer l’exemple, le responsable insertion m’a rappelée triomphalement en déclarant que quelqu’un m’acceptait en stage, par contre il fallait que j’accepte l’offre de stage sans avoir de thème ou sujet de stage. Cela m’a poussée maintenant à faire semblant le plus longtemps possible, quand j’ai la chance de pouvoir le faire, et les mettre au pied du mur le plus tard possible,[ pour limiter la discrimination purement liée au handicap, ou la DISCRIMINATION PREVENTIVE]. APPLAUD J Mais quand même, non seulement vous trouverez difficilement quelqu'un qui dira qu'il n'aime pas les handicapés, c'est assez consensuel comme thème tout de même, mais surtout on trouve souvent des personnes assez motivées (ne serait-ce que statistiquement, une enquête européenne estime qu’un foyer sur quatre possède une personne handicapée, même si celles-ci sont peu visibles dans la société car elle est peu accessible, donc il existe des gens sensibilisés) et ce ceux eux qui vont booster un peu votre embauche, votre intégration, vos conditions de travail [ou par exemple qui boostent la faisabilité d’une conférence à l'E sur ce thème...] et sur lesquels on s’appuie.
-- deuxième point : très peu d'accessibilité : ça c'est la quadrature du cercle pour nous les personnes handicapées : ici, aujourd'hui, on parle du handicap, avec des/au moins une personnes handicapées, pour tenter d'informer, mais dans un lieu complètement inaccessible, d'une école complètement inaccessible APPLAUD J (dans laquelle je me permets de vous rappeler que il n'y a pas que des militaires au Sigicop irréprochable, il y a aussi des chercheurs, des professeurs, des étudiants étrangers en Master, des employés tout simplement, etc....). Autant vous dire que ma troisième année, je l'ai faite dans mon casert, alors que j'ai pu suivre tous les cours de l’Ecole E qui est accessible...
Je profite de l'exemple très représentatif de la conférence d'aujourd'hui pour vous faire remarquer que l'accessibilité au travail ça va plus loin qu’on ne le pense en fait:
- aujourd’hui j’ai réussi à me débrouiller, mais déjà une personne paralysée par exemple, elle serait restée dehors, ou imaginons qu’elle arrive à parvenir jusqu’à B : elle vous parlerait depuis la fosse au lieu de parler depuis la scène inaccessible, et elle aurait moins d'impact sur vous lors de son intervention, en termes purement oratoires [je vais par exemple avoir plus de mal à intéresser/tenir le devant de la salle alors que c’est uniquement parce que la scène est encore moins accessible que le reste]. En entreprise lors d'une présentation de PowerPoint, parler assise, c'est pareil, ça donne une mauvaise image, c'est très mal vu : le prof d’ impro, me disait « soit plus dynamique, soit debout ! »…[visiblement mon imagination assise ne valait pas celle que je pouvais avoir avant debout…Eh bien ça, c’est une image, presque un a priori culturel]
-un autre aspect pernicieux de l’inaccessibilité : par exemple, ne pas pouvoir accéder au bureau de ses collègues, même quand son bureau à soi est accessible, ce qui est mon cas en ce moment en stage, ça oblige les autres à se déplacer pour vous à chaque fois, même pour une agrafeuse, et c'est vite mal ressenti par les autres et donc en terme d’insertion par vous
-une autre conséquence très SOURNOISE de l’inaccessibilité, c’est par exemple à la cafétéria ou dans les cocktails, les lieux où les gens discutent debout, où les personnes de l'entreprise sympathisent, parlent affaire, ou prennent des contacts, quand on est assis, on n’est quasi systématiquement tout simplement PAS dans la conversation, on est là sans être là : faites l'essai à un cocktail ici par exemple...c’est radical. Bon ça c'est l'aspect social, qui est assez discret, mais je crois vraiment le plus dur à atteindre que ce soit dans la vie professionnelle ou civile.)
Ceux parmi vous qui vont aller faire leur année aux États-Unis par exemple, vous allez être surpris là-bas de croiser de nombreux étudiants en fauteuil roulant, de voir que les universités sont accessibles, les transports, les guichets, qu’il existe un centre relais pour que les personnes sourdes puissent téléphoner... [Et en revenant, ensuite (si vous revenez ;) ) c'est en France que vous allez être surpris de voir] et vous allez vous rendre compte que c’est possible, et que en France on EST très en retard pour l’accessibilité.
-- troisième point que j’ai relevé: un grand manque d'information : c’est classique, on a envie de bien faire mais on ne sait pas quoi faire, et cela mène, assez sûrement, à la gaffe.
-Gardons notre exemple sous la main et fort représentatif : pour aujourd'hui on m'a proposé de me faire porter par un grand gaillard jusqu'à la scène, en concluant que tout était prévu. Eh bien non, on n'invite pas, de manière prévue, une personne qu'on sait handicapée, dans un lieu connu inaccessible, en lui affirmant que l'accessibilité c'est de la porter. Ça part d'une très bonne intention, on le comprend tous, mais ce n'est pas acceptable. Ça ne vous viendrait pas à l'idée d'inviter votre grand-mère de 90 ans au sixième étage sans ascenseur en lui proposant de la porter. Et bien la personne handicapée, c’est pareil, elle ne va pas se faire porter toute la journée parce que les bâtiments ne vérifient pas les normes d'accessibilité : c'est indigne, c'est inconfortable, c'est illégal et c'est dangereux à bien des égards.
-une autre gaffe/maladresse fréquente est que l’on pense assez souvent, très souvent même, que proposer une assistance c'est rendre accessible [ça a été le choix de la Ratp avec les palettes…]. Ça m'est arrivé également en stage, et je peux vous dire que dépendre, pour une ou plusieurs actions de la journée, de manière même prévue et organisée, pour une ou plusieurs actions, d'un collègue de bureau qui s'est porté plus ou moins comme on dit ici « désigné volontaire » : c'est très fragile comme situation, c'est assez naïf, pour ne pas dire complètement foireux : pourquoi en quelques mots, déjà, en général, la personne se lasse assez vite et à juste titre, ce n'est pas du tout son boulot, et ensuite ça veut dire pour la personne handicapée une immense galère à chaque fois que cette personne n'est pas là, si elle n'est pas disponible, ou, et ça arrive, si elle n'est tout simplement pas en très bons termes avec vous ce jour-là. La seule véritable accessibilité qu'une entreprise peut apporter, la seule véritable accessibilité pour un job, c'est offrir une réelle autonomie.
Conclusion : Messages primordiaux
La conclusion de mon intervention c'est que j'aimerais faire passer deux messages primordiaux, très importants pour moi en tant que personne handicapée, concrètement, au jour le jour, en profitant d'avoir une promotion d’E sous la main quelques minutes (j'aurais rêvé faire ça avec ma promotion) :
-- tout d’abord quand vous allez vous retrouver avec une personne handicapée, dans la rue, dans les transports... Comment réagir ? Petit mode d'emploi express, et ça il faut vraiment l'avoir entendu une fois :
-1) PROPOSEZ votre aide, bien sûr, ça je n’ai PAS BESOIN de vous le dire
- 2) surtout NE L’AIDEZ PAS, j’ai bien dit « proposez » ! avant de vous précipiter sur la personne physiquement, en lui prenant le coude pour la diriger, en la relevant, en touchant son fauteuil [entre parenthèses un fauteuil roulant c’est quelque chose de très intime, vous n’aimeriez pas qu’on empoigne vos jambes dans le bus comme ça], avant de faire quoi que ce soit, posez-lui d'abord la question : « est-ce que vous avez besoin d'aide ? ». Une jeune fille aveugle de Sciences-Po me disait que souvent elle, dans le métro, les gens l’appréhendent par le coude et elle est perdue : ça la désoriente d'un chemin qu'elle connaît pourtant parfaitement et sur lequel elle avait ses repères avant qu'elle ne se fasse bouger par leur aide forcée !
-3) si la personne dit non, qu'elle n'a pas besoin d'aide (parfois hélas de manière un peu énervée parce que vous n’êtes pas le premier de sa vie qu’elle croise), le plus dur pour vous va être de ne pas le prendre mal : figurez-vous que la personne handicapée fait tout pour arriver à être autonome, donc si effectivement elle l’est, dans une situation qu’elle connaît, malgré les apparences, il ne faut pas vous sentir diminué qu'elle n'ait pas eu besoin de votre aide
-4) si elle dit oui, [ce qui arrive assez souvent quand même, qu'elle a besoin de votre aide,] là encore, ne l’aidez pas ! surtout demandez-lui COMMENT avant de prendre des initiatives qui pourraient se révéler malheureuses : une personne en fauteuil roulant, vous pouvez la blesser car vous ne connaissez pas son problème physique, vous pouvez la positionner d'une manière très inconfortable [sans qu’elle ose vous le dire], ou, et ça m'est arrivé plein de fois, avec des amis qui conduisaient mon fauteuil, par exemple sur la route parce qu’ils croyaient savoir mieux que moi [ce ne sont plus mes amis maintenant ;) non je rigole], vous pouvez la mettre en danger sans vous en rendre compte : la personne handicapée elle, elle connaît son fauteuil roulant ou ses autres compensations, elle connaît ses limites physiques sur le bout des doigts, elle a l'habitude de ces situations, des problèmes et dangers qu’il pose, et elle sait ce qu’il faut faire, ce dont elle a besoin : acceptez d'apprendre cela d’elle. Il faut savoir que ça nous arrive de dire non pour ne pas tomber sur quelqu’un qui va nous mettre en fait encore plus dans le pétrin. RIRES J
Donc que cela ne vous bloque pas, au contraire, c'est plus facile que prévu puisqu’on vous guide : proposez votre aide aussi souvent que possible ; mais MEFIEZ-vous de vos bonnes intentions ; n'imposez pas votre aide à une personne handicapée ; et apportez-lui l'aide qu’elle vous exprimera et pas une autre. [Faites passer le message… ;)]
-- le deuxième point qu’il me tient vraiment à cœur de vous dire aujourd’hui : il faut savoir que moi, en tant que personne handicapée, au jour le jour, plus qu’en tant que personne travaillant sur le handicap, les déclarations de bonne volonté, ça m’est complètement égal, [ce que je veux ce sont des ascenseurs et des chaises]. Je vous donne un exemple : la Journée Interparlementaire sur le Handicap a eu lieu en 2006, organisée par les députés qui ont rédigé cette fameuse nouvelle loi de février 2005, en présence de multiples acteurs dont le gratin des associations de personnes handicapées : figurez-vous qu’elle a eu lieu dans des locaux dont l'ascenseur était trop petit pour les fauteuils roulants volumineux, dont les toilettes n’étaient pas du tout accessibles, sans sous-titrage, sans traducteur de LSF, avec un programme écrit en tout petit sur la brochure... Donc en tant que personne handicapée, qu'est-ce que ça peut me faire qu'ils aient rédigé des décrets, si je ne peux pas me rendre dans la salle, et si de rédiger ces décrets ça ne leur a même pas appris à choisir des lieux accessibles ? [C’est ça qu’il manque vraiment en France, cette action]
J'y ai croisé un architecte suisse en fauteuil roulant qui disait qu'il fallait vendre l'accessibilité aux personnes handicapées comme on vend du Coca-Cola. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire entre autres
-1) qu'il faut démystifier la question, soyez décomplexés du handicap, il faut enlever la culpabilité de pouvoir faire plus de choses, la gêne de ne pas connaître, la peur, faites des blagues : souvent quand on se rencontre avec des personnes de handicaps différents, on rigole beaucoup, parce qu’il y a de bonnes blagues à faire, et les seuls qui font la tête ce sont les valides, qui se sentent obligés d’aborder ce thème avec gravité [comme s’ils étaient en train de faire le deuil de notre vie, c’est nous qui devons les égailler]
- 2) ça veut dire aussi qu’il faut passer AU CHAMP DE L’ACTION. La loi de 1975, il y a encore des décrets qui ne sont pas sortis. Dimanche soir après les résultats, les personnes handicapées ont été citées à la fois par M. Sarkozy et par Mme Royal, très bien, ça ne rend pas leurs sièges de député accessibles…
- (3) vous, quand vous allez être cadres, chef d'équipe, dirigeants, politiques, laissez les beaux discours et les promesses aux autres qui le feront très bien [et avant de vous demander si le handicap fait partie du développement durable ou pas], mais vous, FAITES du CONCRET et du rapide, achetez des rampes, faites couler du béton devant la marche de votre siège social (ça ne plaira pas parce que ce sera pas beau mais ça forcera les choses), mettez des sous-titrages et un interprète de langue des signes sur vos films institutionnels (faut savoir que 70% des sourds sont illétTrés, donc imaginez l’accessibilité qu’ils ont aujourd’hui pour la campagne électorale : ZERO), faites des plaquettes accessibles aux malvoyants, un site internet accessible aux sourds et aux aveugles, FORMEZ vos équipe etc.
- (4) c’est pas compliqué, ce ne sont pas des technologies de pointes, elles existent et sont déjà REPANDUES dans d'autres pays [par exemple, la technologie de pointe que sont les ascenseurs, c’est bon, c’est au point, mais la Ratp a encore bien du mal à la maîtriser…]
- (5) moi j’aimerais savoir pourquoi il n’y a toujours pas de rampe sur les grandes marches qui mènent en Amphi B : une rampe c’est pas forcément moche, on peut la tapisser de feuilles d’or, c’est pas compliqué à mettre. Dans 15 jours on a une remise des diplômes : bon moi je vais galérer comme d’habitude mais j’arriverai à me débrouiller. Mais imaginez que je suis en bonne santé mais que c’est mon frère qui lui est en fauteuil roulant : et bien pour lui c’est bonbon.
J'ai fait ma conclusion, je vais faire mon nota bene, (j’essaye d’en profiter au maximum mais je vous promets ça fait deux lignes) : je tiens à votre disposition deux documents que je trouve d'utilité publique manifeste :
-le guide des civilités, sorte de petit mode d'emploi, par handicap, donc un peu plus précis que celui que je vous ai donné, du « comment faire quand on est en présence d'une personne handicapée » et qu'on ne sent bête, comment ne pas faire d’impair. Par exemple : pour parler à une personne en fauteuil roulant, il faut s’agenouiller, se baisser à sa hauteur (le nombre de torticolis que je me suis faits/ [on me parle d’en haut comme à une enfant]), il faut offrir son coude et non pas prendre le coude d’une personne aveugle, pour parler à un malentendant il ne faut pas articuler exagérément pour qu’il puisse lire sur la bouche, etc… Un document à mettre entre toutes les mains.
-le document « comment organiser une réunion accessible », là encore très concret et très simple, à mettre dans toutes les entreprises qui vous permettra de ne pas proposer à une personne handicapées motrices de se faire porter [ou à une personne handicapée visuelle de regarder un film en trois dimensions]
Je ne sais pas si [on tente un mail promo ou] si M les mettra sur le réseau, en tout les cas je les tiens à votre disposition par mon mail, ou si vous avez des questions.
Merci beaucoup.
Question d’un élève : l’accessibilité : qu’est-ce que c’est un centre d’appel pour les sourds, un site internet accessible -> exemples, M M explique qu’il va faire un centre d’appel, mais que les sites de sociétés laissent à désirer (et je rajoute celui de l’Ecole E), je leur propose de faire l’exercice sur leurs sites de clubs…
Commentaires