Je vais essayer de vous faire profiter de quelques pensées et expériences, mais cette fois à l'aide de deux petits questionnaires auxquels j'ai été invitée à répondre cette année.
Enjoy and coment!
2) Quelles ont été vos
premières constatations, sentiments quand vous etes "devenue" une PMR
à l'Ecole? (notamment sur la question des déplacements, des transports)?
- On pense qu'on va guérir!
- puis on pense qu'on ne va jamais finir ses études et jamais pouvoir
travailler.
- sur les déplacements, au début on fait comme quand on a
une jambe cassée, on demande de l'aide à tout le monde, on se fait porter,
transporter, bringebaler etc, c'est beaucoup plus tard qu'on comprend que ce
n'est pas durable sans autonomie, que l’estime de soi en prend un coup.
J'étudiais dans ma chambre la plupart du temps ou bien au centre de rééducation
avec mes polys et j'ai passé mes examens à l'oral car je n'avais plus
d'épaules. Je n'ai pas pu participer au week end de fin d’études (si j’avais eu
un fauteuil roulant j’aurais pu…). Je me suis beaucoup faite porter par des
amis mais quand vous ne pouvez pas aller au bar ou vadrouiller en même temps que
tout le monde la promo vous oublie très vite, du coup j'ai réalisé un livre de
souvenirs pour la promo depuis ma chambre avec des témoignages de tout le
monde. Les gens ne font pas la part des choses entre inaccessibilité de la vie
sociale et non volonté d'être dans la vie sociale.
- je mangeais seule et le respo du bar le plus proche pour manger m'engueulait
car je n'étais pas dans la bonne cuisine…
3) Quels ont été les changements majeurs de votre vie (incapacités et
déficiences dans les "chaînes de déplacements" du quotidien)?
- être exclue de toutes les discussions debout (dès qu'il
y a un buffet, un colloque, un pot etc etc). Personne ne le voit ou bien on
pense que c'est dans ma personnalité d'être "à l'écart".
- ne pouvoir faire aucun déplacement seule (forte sollicitation d'un tiers
aidant) et passer à une accessibilité de UFR (depuis j'ai tout oublié des
lignes de métro, il faut me parler en arrondissement, quartier, monuments ;)
). je parle des difficultés avec le bus plus loin
- très grands impacts sur la vie professionnelle. Des transports inaccessibles
ça veut dire devoir déménager souvent...et galérer
constamment, accepter des moments d'humiliation que personne n'arrive à
conceptualiser...
4) Quand vous avez intégré les Ponts, sur votre trajet PARIS-CHAMPS qu'est-ce
qui vous marquait, gênait...?
- la difficulté de trouver un appartement accessible
- le fait que l'ascenseur de Nation n'ait pas fonctionné
plus de 30 jours en 3 ans, nous empruntions la voiture de nos amis pour aller à
une station accessible, très tôt pour que mon ami puisse aller travailler à
l'heure
- après avoir attendu une bonne heure avec le fauteuil (station ouverte, donc
en hiver il faisait froid...), un ami trouvé la veille me bipait pour me
signifier son arrivée en RER. Quand le rer
était bondé, je m'asseyais par terre (sinon je valsais avec le fauteuil) car je
ne voulais pas commencer la journée en mendiant, en tout cas pas toutes les
journées. J'aurais vraiment aimé que la personne qui m'accompagnait le demande
pour moi car elle aurait mieux vécu un refus ou un jugement et je me serais
sentie soutenue. Arrivé à destination la personne poussait mon fauteuil
jusqu'en cours, à cause des pavés on faisait un petit détour donc j’arrivais un
peu plus tard et faisais le trajet « seule » avec cette personne que
j’avais l’impression de punir. Globalement, je pouvais compter sur presque
uniquement 2 personnes qui étaient à la fois fiables et gentilles (on a pas l’impressiond
e leur devoir quelque chose quand elles nous ont aidé).
- pour le retour, c'était l'enfer, je devais trouver une bonne âme pour me
ramener jusqu'à chez moi, j'ai parfois passé plus d'une heure à textoter toute
la promotion si mon aidant initialement prévu avait un imprévu. Les gens
disaient non pour des raisons qui me semblaient futiles (je dois faire une
course, je vais rester un peu aux ponts, etc) et ne se rendaient pas compte de
l’impact que leur refus avait. Or très vite le lien de dépendance efface le
lien de camaraderie donc il était hors de question de leur faire la morale en
plus, je devais me contenter de les remercier quand ils le faisaient. Un jour
une camarade s'est retrouvée "obligée" par une autre (qui avait mieux
à faire) à me ramener. Quand je lui ai demandé d'éviter les pavés elle a secoué
mon fauteuil en disant que je n'étais qu'une capricieuse et une enfant gâtée...
- Parfois à la station d’arrivée l'ascenseur ne marchait pas, ma directrice de
département avait fait des courriers et cela arrivait moins par la suite.
- Les escalators qui montaient à Nation m'ont permis de rentrer chez moi sans
voiture chaque soir (je ne vois pas qui aurait pu me ramener depuis Vincennes)
- les personnes disposées à vous aider sont juste des personnes qui aiment ou
que ça ne dérange pas d'aider, pas forcément vos amis...du coup vous faites le
tri aussi...
5)Quels sont les points de logistique qu'une personne à mobilité
"normale" n'imagine pas, quels sont les détails auxquels on ne pense
pas?
- la fiabilité: une solution non fiable n'est pas une
solution du tout. or le risque zéro n'existe pas donc une solution fiable est
une solution doublée. C'est aussi pour ça que la bonne volonté, sans autonomie,
ne change pas grand chose. L'ascenseur de Nation, officiellement, ne devait
servir qu'aux PMR. Sauf que c'était la seule sortie sur toute une partie de
Nation et de loin la sortie la plus rapide, un calcul idiot donc de la part de
la Ratp, tout le monde l'utilisait même avec des affiches et il retombait en
panne le jour même. D'ailleurs on ne me donne pas la priorité : même si je suis en fauteuil et si l’ascenseur
a un gros panneau "priorité aux PMR", j'attends mon tour!!
- les compétences qu'on doit développer (et la TOLERANCE que ça nous demande)
pour arriver à orienter quelqu'un vers l'aide dont on a besoin sans qu'il ne se
vexe, ou bien pour refuser une aide dangereuse (les gens qui saisissent les bras
du fauteuil sans me demander restent avec les accoudoirs dans les mains, ce
peut être très dangereux s'ils arrivent un peu à soulever le fauteuil comme ça
et qu'il retombe, les gens qui soulèvent le fauteuil que d'un côté ou qui
insistent sur un obstacle, je peux basculer en avant etc). Du coup je préfèrais
toujours passer la limite train-quai debout sans le fauteuil.
- vous pouvez voir d'autres choses usuelles dans le "Guide des
civilités" (le fait qu'on vous parle comme à une idiote par charité etc).
- la proximité avec les fesses des gens et les poubelles du fait qu'on est au
niveau assis. Typiquement quand un gars louche ou plein d'alcool approche sur
le quai il faut bien plus anticiper car je ne peux pas bouger facilement du
fauteuil. Des réflexes qu'on n'a pas quand on est jeune, et que je dois
signaler aux camarades le plus agréablement possible...
- les ascenseurs ou monte charge qui ne servaient qu'aux PMR sentaient la pisse
- souvent une personne non handicapée va dire qu'il n'y a pas d'escalier quand
il y a moins de 5 marches…
6) Quel est le comportement des gens sur ce meme trajet (spontanéité?
Indifférence? Aide?)
En général indifférence, parfois de l'aide. Je pense que
parfois la gêne bloquait l'aide aussi, mais l'on n'a pas forcément envie d'être
formateur de la population 24h/24...
A la Ratp une ou deux bonnes volontés à la station d’arrivée une fois que
j'avais déposé une réclamation, je pense qu'ils se sont appliqués à ce que je
sois bloquée le moins possible, j'essayais de m'appuyer sur ces une ou deux
personnes compréhensives et dynamiques.
Souvent les gens pensaient que je n'avais pas de problème physique puisque je
suis jeune.
Aujourd'hui il m'est très difficile de prendre le bus à
cause de cela: ce n'est pas marqué sur mon front donc si je suis sans le fauteuil
le bus s'arrête loin du trottoir, la porte du bus est beaucoup trop en avant ou
en arrière par rapport à l’arrêt, les vieux m'agressent etc. Parfois je mets ma
carte d'invalidité bien en évidence devant moi pour faire le trajet assise sans
hostilité. Quand il y a du monde je demande au chauffeur d'attendre que je sois
assise pour démarrer, 90% du temps j’angoisse tellement à l’avance des réactions
des gens que je fais mon possible pour l’éviter. Souvent je n'ai pas le temps
de valider mon ticket avant que le bus ne démarre hors je dois m'assoir
absolument pour ne pas me blesser, et donc je prends le bus en fraude mais avec
mon ticket tout neuf dans la main...Ca c'est quand j'arrive à m'assoir avant
que le bus ne démarre, souvent si le bus est rempli de personnes assises je
préfère attendre le suivant, puis le suivant etc, jusqu'à ce qu'il y en ait un
où je puisse rentrer "en paix".
J'essaye de bien viser le moment pour appuyer sur le bouton de demande d'arrêt
car il n'y en a pas sur tous les poteaux et je ne peux pas me lever pendant que
le bus avance. Quand je dois sortir, je dois attendre le dernier moment pour me
lever, que le bus soit arrêté. Du coup s'il y a du monde les gens rouspètent
que je n'aie pas "préparé ma sortie" d'autant que comme je ne peux
rien porter mon sac est sur un mini diable qui doit se frayer un chemin.
Souvent mes camarades, debout dans le RER, ne faisaient
pas attention à ce que je puisse suivre leurs conversations donc la plupart du
temps je faisais le trajet seule près de la porte.
Un des élèves qui m'aidaient le plus s'est tordu la cheville un jour, je lui ai
prêté notre voiture automatique (acquise en milieu d'année car nous n'avions
plus personne pour nous prêter une voiture) et nous allions et revenions de l’Ecole
ensemble, un vrai bonheur à tout point de vue cette période! Deux PMR rendaient
le tout accessible!
7) Quelle est pour vous la position de la France sur l'Accessibilité
hier-aujourd'hui, demain (l'échéance 2015 pour équiper les transports n'est-ce
pas trop ambitieux?)?
Hier-aujourd'hui
gros retard, comme les autres pays latins et à l'inverse des pays nordiques ou
anglo saxons. Avec mon ami nous voyageons beaucoup, pendant des années ce fut
un choc de revenir au RER à Roissy sans prise en compte
du handicap, et de s'entendre dire à Nation "ah ben non les escalators ne
fonctionnent pas c'est pour ça qu'on refuse les PMR" (sic !!). Il y a
eu quelques travaux à Roissy depuis une petite année et ça va un peu mieux.
Demain
je ne sais pas. Les mentalités changent un peu, il y a une mini mode, mais nous
partons d'une culture du handicap tellement moyen-âgeuse que je ne peux pas
être optimiste. Les rapports gouvernementaux disent déjà que 2015 ne sera pas
tenu, le métro parisien est d'emblée parti sur une non mise en
accessibilité...Essayez de faire Nation-Hotel de Ville (ou mieux Nation-La
Défense) en bus...c'est pourtant la réponse officielle du Stif (tous les métros
censés être compensés par tous les bus)... Les associations de personnes
handicapées (je ne suis dans aucune) attendaient énormément des JO Paris 2012
pour l'accessibilité ce fut une réelle déception.
Les lobbys arrivent encore à vider des articles de la loi (la première loi de
1975 n'a presque jamais été appliquée), un peu comme ils le faisaient avec
l'environnement avant que l'opinion publique n'en fasse une priorité, c'est le
même type de combat que celui des femmes, il est lent, il y a des montagnes de
préjugés à lever ("l'accessibilité coute cher", "sert à peu de
gens" etc), et un acquis peut toujours se perdre...
Il n'y a pas encore eu
la Simone Veil ou le Nicolas Hulot du Handicap...
Lors d'une visite de chantier dans le cadre de mon boulot en 2009, l'Architecte
du Vieux Paris et l'ABF se sont mis à parler tout doucement et refermer le
cercle de discussion en m'excluant pour discuter d'accessibilité (ils voulaient
passer outre des points de la réglementation pour préserver des pavés)...c’était
un moment complètement hallucinant, mon collègue (qui lui, valide, était admis
dans le cercle), n’en croyait pas ses yeux et était hyper gêné vis-à-vis de moi…on
part de très très loin!
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